Désemparée …

La perte d’un enfant n’est pas un évènement banal. Ce n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais « dans l’ordre des choses »…

Je m’appelle Jeanne BAUDOUIN, fille de Laurent et de Françoise BONNET, et j’ai toujours vécu à Terves (79) petite commune proche de Bressuire. J’y suis née, en 1606, m’y suis mariée très jeune avec Michel VIOLEAU et y ai donné naissance à 9 enfants, dont la plus jeune Françoise fête en cette année  1647 ses 2 ans. Notre vie s’y écoule dans une certaine quiétude, partagée malgré tout entre le labeur, les difficultés journalières communes à tous ici, les aléas du temps, les disettes ou famines qui en découlent, les épidémies récurrentes.

Les épidémies …

Comme celle qui a commencé en septembre de cette année 1647…

Il y a d’abord eu la mort de la petite Perrine, le 24, la fille de Mathurin ANGILLAUME, elle n’avait que 8 ans. Puis le 27 , Mathurine GODRIE, le 30, Marie GUILLEBOT et Jeanne PAINDESOU, le 1er Octobre Marie BOUTIN, et par la suite Estienne, Pierre GUESDON, Guillaume GUINEFOLEAU le métayer de la Rouillière, Jacques SAUVESTRE, Jeanne, Mathurin, Anthoine BROSSARD, Nicolle BOISSINOT suivie par son époux René FICHET 3 jours plus tard …

Alors aujourd’hui avec mon mari, nous ne vivons qu’avec cette angoisse permanente de voir cette maladie, la dysenterie,trop fréquente pour nous être inconnue, arriver dans notre foyer. Dès la nouvelle des premiers malades, des premiers décès, la crainte a envahi notre ville, fait fermer les portes de toutes les habitations. La désolation s’installe, elle est humaine, elle est en chacun de nous… La peur grandit et se réveille.

Comme toutes les mères, je suis obsédée par l’idée de protéger mes enfants. Mais que faire ?

Certains plaident, comme à chaque épidémie, pour un châtiment infligé par le Ciel. Chacun tente par des moyens divers et ancestraux d’exorciser ce mal.

Et bien que désemparée, j’essaie donc de suivre les conseils de nos anciens en donnant à boire à mes enfants du vin coupé d’eau, sensé les immuniser, et en priant plusieurs fois par jour Sainte Anne ou la vierge Marie afin qu’Elles aient la bonté de nous épargner, mais cela suffira t’il ?

Je suis démunie, inquiète.

Inquiète comme ce matin … Mon petit Hillaire s’est réveillé fatigué, se plaignant d’avoir froid, d’avoir mal au ventre… eugene-carriere_enfant-malade2

Non, pas Hillaire … Il est si petit, il n’a que 5 ans.

Que faire ?

Surtout ne pas rester prostrée à me lamenter, il me faut agir ! Préparer des décoctions d’orge, de rhubarbe et le faire boire … Beaucoup. Mais la maladie évolue vite, trop vite. Les diarrhées incessantes jour et nuit, les spasmes violents, le refus de manger … Cette fièvre qui ne baisse pas, son visage, son corps qui changent de couleur, cette faiblesse qui l’envahit un peu plus chaque minute. Et cette odeur fétide qui envahit la pièce unique de notre foyer.

Chaque jour, chaque matin, Michel quitte la maison ne sachant s’il retrouvera son fils en rentrant le soir. Chaque jour mes aînés se chargent de mon travail habituel et quotidien en plus du leur, ne sachant comment aider ou soulager leur petit frère. Chaque jour je les vois prier, supplier dans leur impuissance à faire autre chose, que la santé soit rendue à Hillaire.

Je me sens inutile, fatiguée, en manque de sommeil … Est-ce donc une volonté Divine de vouloir m’enlever mon fils ? Le curé de notre paroisse vient le voir presque tous les jours et tente de me rassurer mais je l’entends à peine tellement ma colère est grande.

L’éclat de ses yeux magnifiques se ternit, son regard devient fixe, ses mains glacées, les douleurs qui le torturent depuis plus de 10 jours s’apaisent un peu … Alors l’espoir revient comme une lueur fugace …  Mais Hillaire nous quitte le 9 novembre 1647 tout doucement, sans bruit, sans agonie.

Ce fléau, cette maladie disparaît de notre contrée au début du mois de décembre, aussi soudainement qu’elle est apparue et n’a finalement pas été aussi meurtrière que tant d’autres, laissant une quinzaine de familles dans la douleur.

Et même si la mort m’est, comme à nous tous, déjà familière, le deuil d’un enfant est à chaque fois une épreuve inconnue, sans modèle.  L’accepter avec fatalisme ? Il le faut bien … La vie ne nous en laisse pas le choix.

 

Épilogue :

Jeanne BAUDOUIN donnera naissance 2 ans plus tard le 12 janvier 1650 à un autre petit garçon, qui sera prénommé … Hillaire .

violeau-hillaire-1642-deces
VIOLEAU Hillaire Acte de sépulture

 

arbre

 

Pour en savoir plus sur le registre des sépultures de Terves et les annotations du curé de cette paroisse, je vous invite à lire l’article de Raymond sur le blog L’Arbre de nos ancêtres

Sources :

Archives départementales 79 : (acte de naissance, sépulture, registre sépultures 1947 Terves)

Google Books : (dissertation sur la dysenterie)

La France agricole : (documentation)

CGCP asso.fr : (documentation)

Eugene Carriere.com : (Enfant Malade Musée d’Orsay, Jean Schormans )

De plume en plume : (image à la une)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


12 réflexions sur “Désemparée …

  1. Bonjour,
    Article passionnant. Il serait intéressant de regarder dans la généalogie, si d’autres enfants de cet âge là sont morts par la suite (N= dans la fratrie etc)..En général quand un nouvel enfant prend la place et le prénom d’un enfant mort né, il y a des phénomènes de répétition dans l’arbre.
    Pas nos ADN les ancêtres nous transmettent leurs traumatismes, hélas !

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  2. Ce récit est poignant, une mort en direct c’est très émouvant. Telles que tu le racontes, les heures d’agonie de ce petit garçon vont être présentes lorsque je vais regarder de plus près les décès d’enfants dans nos généalogies.

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