Une petite route

pèlerinage

« Des beaux paysages que la nature a semés avec profusion dans ce petit coin de terre peu chanté par les poètes. Des chênes gigantesques qui s’élèvent à tous les points de l’horizon : tantôt sortant du sol ou en épaisses futaies, ils forment de grandes forêts qui servent de repaire aux sangliers et aux chevreuils, tantôt parsemés à distance, ils fixent les limites des héritages et servent d’encadrement aux champs de blé, de maïs et de genêts… « 

La Gâtine…

Et en son sein un joli petit bourg, comme assis au milieu du feuillage : la Chapelle-Saint-Laurent (79).

Ce village d’où part une ancienne petite route, longue d’environ 1200 mètres, profonde, ombragée et qui porte en elle des empreintes ineffaçables. Cette petite route confidente des prières de nombre de mes ancêtres, usée par leurs pas tout au long et au fil des siècles, n’était au départ qu’un sentier étroit, presqu’enfoui dans le sol et dominé par des chênes séculaires où on y croisait à chaque détour des statues de la Vierge et de nombreuses croix.

Cette petite route qui mène à Notre-Dame-de-Pitié.

Pierre BROSSARD, Marie BONTEMPS, Mathieu BODIN, Charles GERMAIN, Andrée BENESTREAU, mais aussi Mathurine VIOLLEAU, Gabriel DAUNIS à la fin du XVIIème siècle, ou bien Jean JOUYNEAU, Françoise NOIRAUD, Jean BODIN, Perrine BAUDRAN, Philippe ROY, René GENDRINEAU, René COLLIN ou encore Perrine FOURNIER, au milieu du XVIIIème. Puis Pierre et Jeanne CHAMARE, Jacquette ALBERT, Hilaire CORNUAU, Jacques MOURIL suivis au XIXème siècle par Jean DUJOUR, Pierre et Jean-Baptiste BERTHELOT, Joseph IMBERT, pour n’en nommer que quelques-uns, tous mes ancêtres à la 8ème, 9ème, 10ème ou 11ème génération, vous avez emprunté cette petite route menant vers ce lieu vénéré, vers ce lieu de pèlerinage, vous tous qui êtes ma famille chapelaise.

Et toi aussi Françoise. Toi, tu es la petite fille de mes sosas Pierre GERMAIN et Jeanne GORRY et tu es unie le 26 juin 1701 à Pierre BELORGES dans la chapelle de cet endroit si particulier, nommé dans ton acte de mariage : « annexe de cette paroisse » (la Chapelle-Saint-Laurent).

extrait acte mariage Françoise GERMAIN- 27.06.1701

Et toi…

« Moi ? Oui aussi ! Je m’appelle Louise MIGEON, et je suis ta 6 x arrière-grand-mère. Je connais très bien Notre-Dame de Pitié ! Ce pèlerinage je l’ai fait comme tous ceux que tu as nommés, comme tous les autres chapelais, et comme nombre d’autres car on y vient de 12 à 15 lieues à la ronde et même parfois davantage.

Pourtant il faut que tu saches que de nombreux autres sanctuaires existent dans la région : à Secondigny, à Saint Aubin le Cloud ou à Viennay pour obtenir de St Barthélémy la guérison de la peur et des tremblements nerveux; ou bien à Clessé pour demander à St Urbain une protection contre les orages, les grêles et autres intempéries; ou encore à Azay sur Thouet pour prier St Fort de bien vouloir guérir les maladies de poitrine; ou dans les nombreuses chapelles disséminées ici ou là pour invoquer St Blaise de bien vouloir protéger nos troupeaux. Il y en a tant et tant…

Mais de toutes les dévotions, entends bien qu’aucune n’est plus plus chère à notre cœur de gâtinais que celle-là. Celui qui a une faveur à demander ou une guérison désespérée à obtenir se dirige immanquablement vers notre « Bonne Dame de Pitié ».

Souvent les soirs d’hiver lors des veillées, les hommes aiment à raconter les légendes de nos contrées. Certaines effrayantes comme celle de l’étang Olivette, mais aussi d’autres récits moins farfelus ou imaginaires pour transmettre notre héritage, nos traditions, comme l’évocation de Notre-Dame de Pitié :

« Un jour, un laboureur poussa la herse de sa charrue jusqu’au pied d’une antique muraille, un vieux mur ruiné dont la vase se perdait dans les touffes épaisses d’une haie d’aubépine. L’herbe qui croissait à l’ombre du buisson s’écarta sous la pointe du soc et découvrit au regard du paysan une belle statue de la Vierge. Elle fut d’abord placée dans un rustique oratoire en plein vent à l’endroit même où elle fut trouvée puis on lui construisit une modeste chapelle… »

Détruite ou endommagée au fil des ans d’abord par les Normands vers 815, puis en 1561 par les huguenots et ensuite par les « bleus » en 1794, elle fut restaurée, reconstruite, agrandie sans que les pèlerinages cessent et ils s’intensifièrent même lorsque le pays retrouva sa tranquillité. L’assemblée de Pitié demeure depuis l’une des plus célèbres manifestations du Poitou et elle perdure encore aujourd’hui à ton époque…

Tu le sais, nous vivons en suivant les enseignements de l’Église et notre présence sur terre est rythmée par le son de ses cloches. « Les traditions nous sont chères et demeurent au fil des ans : comme celles des fêtes patronales, celles avant l’Ascension, ou les processions matinales des rogations accomplies à travers la campagne pour implorer du ciel la protection des récoltes. » Chaque évènement de notre existence est donc relié à notre Église, et nous y aimons la vie joyeuse des moments partagés entre voisins et amis.

Ainsi à l’assemblée de Pitié se mêlent souvent manifestations religieuses et fêtes populaires. Ces moments sont prétexte à danser au son des cornemuses et hautbois, ou bien pour les plus jeunes, à pratiquer gaillardement le fouiallage derrière les chemins creux des alentours. Qui sait si « ta » Françoise GERMAIN n’y a pas rencontré de cette façon son Pierre… Tout cela accentue le caractère populaire de ces rencontres et pèlerinages sans pour autant en entamer la piété.

" (...)Mais d’où vient ce bruit qui s’élève
D’un confus mélange de vois ?
D’où sort tant de monde à la fois ?
C’est la messe que l’on achève. 

Les processions séparées
S’écartent par divers sentiers
Et cherchent les cabaretiers,
Dont les tables sont préparées. (...)" 
(Feste de village - Julien Collardeau -1697) 

« Pendant de très nombreuses années, au mois de septembre on y a même noté la présence de faux pèlerins, de marginaux, mercelots, charlatans et bonimenteurs, montreurs d’ours ou de phénomènes, tous habitués des foires de Niort ou de la Chataigneraie, sans oublier les gueux et coquillards. » 

Quand on approche de la chapelle dédiée à notre « Bonne-Dame », on découvre près de la porte les marchandes de vœux, installées là pour proposer aux pèlerins tout un choix de petits ex-voto en cire. Celui qui souffre d’un bras achète un bras et le dépose dans une corbeille placée près de la statue. On peut ainsi se procurer des têtes, des pieds, des jambes, des mains, des yeux ou bien même des animaux de la ferme, tous fabriqués dans des petits moules en bois transmis de génération en génération. Ces gestes votifs nous les utilisons bien sûr pour faire toutes nos demandes de grâces ou guérisons, mais ils servent aussi à remercier la Bonne Notre-Dame de ses interventions.

Avant de découvrir l’acte de mariage de Françoise GERMAIN, tu n’avais jamais entendu parler de Notre-Dame de Pitié. Alors Nat, toi qui cherche inlassablement tes racines, toi qui aime tant essayer de nous comprendre, de découvrir ce qu’étaient notre quotidien et notre vie, j’aimerai t’inviter : accorde toi le temps d’emprunter cette petite route, de suivre nos pas, nos traces qui te mèneront sur les hauteurs de cette Gâtine que tu aimes tant. Je te propose de venir remonter le temps, de laisser ton imagination s’envoler vers nous dans les méandres du passé. De venir ainsi à la rencontre de tous tes ancêtres chapelais… »

Sources :


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