Madeleine,
Fille de Pierre LUSSEAU et de Marie Magdeleine BROTHIER, tu es née en 1806 à La Chapelle Bertrand (79). Tu te maries en 1827 avec François Louis FRADIN et vous êtes, tous deux, mes ancêtres à la 6ème génération, mes sosa 43 et 42. De ce mariage naissent 10 enfants et tu décèdes le 11 janvier 1860 à la Ribotière à Parthenay.
De ta vie, et outre ces quelques dates et lieux découverts au fil des actes de l’état civil, je ne peux qu’imaginer. Et pourtant…
Et pourtant j’ai toujours désiré pousser cette porte me permettant d’entrer dans ta vie, pousser la porte de ta maison. Entrer dans cette demeure inconnue, surannée sans aucun doute, mais possédant ton âme, vos âmes. Pénétrer dans votre intimité, entendre soudainement votre voix s’élever tel un nuage de poussière, et découvrir ces objets d’autrefois, familiers, usagers et riches de votre histoire.
Pousser cette porte pour un voyage hors du temps.
Et me voilà aujourd’hui, avec un acte de 18 pages, un stylo, un carnet et mon ordinateur pour seuls bagages, partant sur les sentiers de ta vie. Ton monde m’accueille alors à bras ouverts, mon imagination faisant à elle seule le travail, et de fil en aiguille je te vois enfin évoluer dans cette métairie de la Ribotière. Un acte riche, un travail minutieux, méthodique réalisé par un commissaire priseur parthenaisien : un inventaire après décès du 19 avril 1860 devant servir à régler ta succession. Et ce que j’apprécie le plus dans les images projetées par cet acte, c’est de ne percevoir chez celles et ceux qui t’ont survécu, aucune fierté de posséder quelques richesses, juste la volonté ou pas de présenter ces biens d’usages courants.
J’avance alors doucement, à petits pas, j’arpente les différentes pièces et je découvre ces ustensiles du quotidien dont, pour certains, les noms me paraissent bien insolites. Ces mots surgis du passé, ces mots que tu prononçais mais qui me sont inconnus.
Dans la « principale et grande pièce basse ouvrant sur le jardin et éclairée sur la cour« , outre deux lits, un coffre, deux tables, divers autres meubles et ustensiles de toutes sortes, sont posés là : une ballière (matelas de balle d’avoine), une mante en boulanger (grande couverture en étoffe de laine et de fil typique du Poitou), deux bourgnes (sorte de panier en osier pour conserver les fruits et légumes ou pour pêcher dans les ruisseaux), cinq paillons (corbeille en paille)… Ou dans la « chambre à côté servant anciennement de laiterie » : deux méloirs (claie ou corbeille pour les fruits), une ponette (vaisseau de terre où on met le lait), un charnier (saloir), ou encore sept fléaux (instrument servant à battre le blé).
Cette liste m’emmène ensuite dans la « cave » puis dans une « petite chambre au premier étage, en face l’escalier et éclairée sur le jardin ». J’y perçois une barrique contenant du vin de Mirebalais et un charnier dans l’une; lit, paillasse, table, armoire, coffre contenant tes hardes dans l’autre; mais aussi courtepointe, « couète » en coutil, traversin…
Ce premier étage semble bien être votre lieu de vie. En effet, mon « guide » me mène vers ce qu’il nomme la « principale pièce haute à gauche de l’escalier« , puis dans la « chambre haute dite la maison, à droite de l’escalier » et ensuite dans la « petite chambre à côté dite la laiterie« . Je déambule dans une « galerie éclairée sur le jardin » et dans une « petite chambre au bout de ladite galerie« . Je découvre dans ces pièces à nouveau des lits à bateaux, d’autres courtepointes en indienne fond rouge, des buffets, vaisselle diverse, chaises, chenets, chaudron, une fonçure en bois (châlit ou bois de lit), des chandeliers, un friquet (écumoire), des plats en caillou (plats en terre émaillée en blanc à l’intérieur), un capot (bonnet de femme très haut et large), des mauvais justes (corsage de femme qui serre le corps – juste au corps), une buie (cruche), tant de mots que je ne connais pas.
Et mon voyage dans ce monde insolite continue avec une laiterie (armoire en chêne ou châtaignier aux portes percées de trous, dans laquelle tu mettais les terrines contenant le lait), un porte à dîner (ensemble de gamelles s’emboitant permettant de transporter un repas chaud), un couloir (passoire en forme d’écuelle pour égoutter les fromages), des bandes de charottes (petite charrette à deux roues), un paisson (instrument de fer servant à étendre le cuir), deux travouils (dévidoir pour mettre le fil en écheveaux), un chatelet (dévidoir pour mettre les écheveaux en bobines)… Et de nombreuses autres découvertes que ce soit en explorant la maison, le grenier, la grange , le hangar, ou les toits et les courtillages…
Mais ce voyage hors du temps, démasque aussi certains aspects de la personnalité de ton mari. Ce François qui déclare sur l’honneur être marié sous la « communauté légale de biens » et, revenant sur sa parole, avoue 6 mois plus tard un contrat de mariage qu’il avait « oublié avoir contracté« . Ce François qui cache certains revenus, qui omet des ventes de bétail… Et ce François, ton François, avec son côté « filou » me plaît finalement et un sourire me vient dorénavant à chaque fois que je pense à lui.
Madeleine, avec ce voyage hors du temps, j’ai pu pénétrer dans ton intimité, dans ton quotidien, votre quotidien, dans un monde inexploré. Il m’a permis de découvrir des objets portant des noms étrangers, saugrenus, déroutants parfois, des souvenirs d’un autre temps. J’ai pleinement conscience que de perdre ces souvenirs serait comme perdre la mémoire de mon histoire familiale, la mémoire de ma région, et tout simplement vous perdre, vous tous, définitivement.
Sources :
- Archives Départementales des Deux-Sèvres et de la Vienne
- Dictionnaire du monde rural – Les mots du passé – Marcel LACHIVER – Ed Fayard
- Images : Istockphoto
Ah, la magie des inventaires après décès… Je ne m’en lasse pas ! Et ça me fait d’ailleurs penser que j’en ai un à exploiter 😊
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Je crois bien que pour moi c’est l’acte qui tient la « pole position » 😉 :p
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J’adore les inventaires après décès, mais là, on entre véritablement dans l’intimité de la maison et de la vie de Madeleine et François. Merci pour cette visite !
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Un grand merci à toi, Sébastien pour la tienne sur ce blog 🙂
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Un porte à dîner, comme en Inde! Comme quoi les bonnes idées font des petits. Quelle belle découverte cet inventaire détaillé d’objets d’un tout autre quotidien et cette langue émergeant d’une autre époque. Vestiges d’un autre monde, d’une autre réalité !
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Bravo ! On a vraiment l’impression de rentrer dans la maison et de faire la connaissance de Madeleine !
J’espère avoir la chance d’en trouver moi aussi !
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Merci pour votre visite 😊 je l’espère pour vous et il n’y a pas de raison de ne pas en trouver
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Il est magique cet inventaire qui fait revivre le quotidien de cette génération… Un saut de plus de deux siècles ! Que nous reste-t-il de tous ces mots si pittoresques ?
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A petits pas feutrés cet inventaire au vocabulaire si parlant, sommes nous indiscrets ou passeurs de mémoire ?
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Peut-être un peu des 2, ou plutôt curieux et passeurs de mémoire 🙂
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Celà permet de les conserver dans les souvenirs et de savoir comment ils ont vécu.
Très émouvant.
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Merci Catherine 🙂
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Comme dans un film, nous pénétrons dans la maison et le décor prend vie pour l’histoire de Madeleine.
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Une bien jolie visite !
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Merci beaucoup Beatrice !
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Super récit, et très belle intrusion dans la vie de vos ancêtres, un vrais régal !
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Merci Guy de votre visite sur ce blog et de ce très gentil commentaire 😊
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Magnifique histoire. Comme j’ aimerais trouver de tels renseignements sur mes lointains parents. Merci pour ce magnifique récit.
André COLLET (Candre 23)
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Merci pour ce sympathique partage
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merci à vous d’être passée par là 🙂
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