Il était une fois…

Il était une fois, en Gâtine poitevine, dans un village empreint de mystère, un village où la magie de la nature a créé un monde qui éveille l’imagination. Là, tout près de ce village, un monde enchanteur fait de chaos granitiques dans un écrin de verdure, une terre de chiron; ici, un chêne remarquable qui semble avoir transpercé un bloc de granit pour prendre toute son ampleur; et là, un rocher branlant enveloppé de légendes.

On raconte que ce rocher servait de « pierre de jugement », les femmes accusées d’adultère devaient arriver à le « mettre en branle » pour être disculpées. Un village, donc, au bord de la Sèvre nantaise à mi-chemin entre Parthenay et Bressuire. Un village autrefois nommé La Regeasse, et aujourd’hui Largeasse.

Dans ce village vivait une famille de fermiers, François DUJOUR, Marie Jeanne CHAMARE son épouse, et leurs onze enfants. De cette nombreuse fratrie, notre histoire ne va en retenir qu’un prénom : Jeanne Marie Anne.

Elle grandit dans cette campagne deux-sévrienne et se marie comme presque toutes les jeunes femmes de son âge. Dès ce jour du 18 mai 1813, elle et son époux Pierre SAVIN vécurent heureux et eurent beaucoup…

Ah mais non !!! Stop !

Il y a une touille dans le potage, là !! (oui, oui j’ai bien écrit « une touille* »).

Jeanne, je ne peux pas raconter cette histoire car ce n’est pas ton histoire… Tu n’as pas pu te marier ce jour de 1813. Pourtant il y a bien un acte de mariage sur lequel il est noté que l’épouse, Jeanne Marie Anne DUJOUR est née le 5 mars 1785 à Largeasse. Et tu es bien née ce jour-là, mais je sais cependant que ton existence, aussitôt ta naissance, s’est mise en pointillés.

Ce jour-là, tu as été ondoyée, par la sage-femme sans doute, car en « péril de mort ». Le curé a aussitôt été appelé et après avoir entendu les témoins présents lors de cet ondoiement il te baptise.

Il te baptise, mais « sous condition », car il dit devoir « douter par l’honneur de la manière dont il a été fait ». 

Il te faut savoir qu’un ondoiement doit être fait en suivant certaines règles bien définies; il ne représente qu’une étape dans les nombreuses « cérémonies » (au nombre de vingt) qui constituent le baptême. L’administration du sacrement de baptême par ablution (l’ondoiement) consiste donc à verser de l’eau, en principe, sur la tête de l’enfant en prononçant simultanément les paroles voulues par l’Église : « ego te baptizo in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti » ou en français : « je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ».

Tu es donc toujours en vie à l’arrivée du curé qui s’enquiert aussitôt de la validité de l’ondoiement. Car pour l’être, et outre les paroles consacrées dites avec exactitude, l’ondoiement doit être fait avec de l’eau naturelle, non souillée :

  • Dans l’affolement a t’on utilisé une eau propre ou venue d’une bassine ou un seau qui se trouvait dans la cuisine et qui avait déjà servi à un usage quelconque ?
  • Est-on certain que l’eau a bien touché le corps ? Question à se poser lorsque l’ondoiement était fait pendant que la sage-femme extrayait l’enfant et parfois même in utero (à l’aide d’une sorte de pipette).

Le doute peut donc porter sur la matière (l’eau) et la forme (les paroles).

Mais ce jour-là le bon curé de Largeasse n’arrive pas à dire si ton ondoiement a été correctement effectué ou pas et comme on ne peut absolument pas être baptisé deux fois, il choisit de le faire en prononçant : « si non es baptizatus, ego te baptizo in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti » (si tu n’es pas baptisé, je te baptise etc…). Comme la formule contient une condition, ce baptême est appelé « baptême sous condition ».

Mais je disais donc que je ne pouvais pas raconter cette histoire, Jeanne. Tu n’as pas vécu ce « conte de fées », tu n’as même pas pu grandir et profiter de la présence des tiens et tu n’as pas pu te marier. Tu es décédée 12 jours après ta difficile venue au monde…

Alors je sais bien que ce mariage est celui d’une de tes sœurs, également prénommée Jeanne Marie Anne et sans doute née après toi, et je sais que l’officier d’état civil chargé de fournir une preuve de sa naissance a donné la seule qu’il a pu trouver. Je sais tout cela… Mais contrairement à tout ce que j’ai pu lire à de très nombreuses reprises sur un site internet réputé, « la » Jeanne Marie Anne se mariant en 1813 avec Pierre SAVIN ne sera pas, dans ma généalogie, dite née le 5 mars 1785, car ce n’est pas elle.

Chacune de vous aura sa propre petite feuille dans mon arbre généalogique. Chacune de vous conservera ainsi sa propre histoire.

Il était donc une fois, une petite fille prénommée Jeanne Marie Anne, décédée à douze jours, et oubliée par une grande majorité  à cause d’une simple date inscrite sur un acte de mariage…

Lexique :

« La touille dans le potage » : L’expression viendrait de la Vendée où la touille est une cuillère à soupe, qui serait restée dans le potage. Par extension, l’expression est devenue familière et a été modifiée. Veut dire qu’il y a un problème.

Sources :

Archives Départementales des Deux-Sèvres

Images Largeasse et légende : tourisme bocage.com

Forum Généanet : le baptême

Images : istock photo 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


14 réflexions sur “Il était une fois…

  1. Ouhlala ! Il faut que je corrige mon arbre 😱 Je fait partie de ceux qui n’ont pas vérifié la date de naissance de la jeune mariée. (Elle est dans mon arbre de manière très anecdotique parce que je m’intéresse à la famille de son mari, mais tout de même)

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  2. Je crois qu’on a tous ce genre de cas… J’ai en tête un acte de mariage dans lequel la date de décès indiquée pour le père du marié correspond au décès d’un enfant homonyme… A croire que l’officier d’Etat Civil s’est contenté des tables décennales sans vérifier l’acte ! Très bien écrit en tout cas, comme toujours !

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    1. Oui on doit tous l’avoir, tu as raison… Mais j’ai surtout été touchée par le fait qu’elle soit régulièrement oubliée ou du moins « couplée » à sa sœur. En tout cas merci de tes commentaire, partage et fidélité 🙂 Bon dimanche à toi

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  3. J’ai corrigé beaucoup de ces erreurs dans non arbre et sans doute y en a-t-il encore… Depuis peu j’envoie des messages aux autres arbres sur geneanet, mais souvent l’erreur s’est tellement répandue que c’est – presque – perdu d’avance …

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    1. Merci Brigitte 🙂 Et je ne jette absolument pas la pierre car j’ai moi aussi des erreurs dans mon arbre. De nombreuses … Des erreurs d’inattention, des erreurs de débutante. Relire les actes, reprendre les branches … et recommencer 🙂

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  4. Bonjour,
    Effectivement, toujours très bien écrit.
    L’erreur est humaine, d’autant plus que dans les fratries, lorsqu’un enfant décédait en bas âge, il n’était pas rare que son prénom soit repris par un frère ou une soeur né(e) ultérieurement. Donc, risque d’homonymie.

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  5. Petite Jeanne tu m’auras permis de connaître toutes les modalités et exigences d’un ondoiement valide, hélas ton passage sur notre terre fût beaucoup trop court.

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  6. Vérifier, recouper, revérifier… j’ai aussi eu des cas comme celui-ci où l’information la plus vraisemblable était finalement fausse.
    Bravo pour ce billet qui raconte tellement bien la véritable histoire de la petite Jeanne dont le triste destin nous touche particulièrement. Grâce à toi, elle sort aujourd’hui de l’oubli. Paix à l’âme de ce petit ange.

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