Nat, ton étonnement à la découverte de mon acte de baptême m’a fait sourire… Oui, moi, Marie CADU, je suis bien née en 1736 et oui, lorsque je me suis mariée le 16 mai 1752 à Noirterre avec Etienne MORTAULT, j’avais à peine 16 ans ! Et je vais même te dire, te conter un des moments le plus important de ma vie, le premier. Cela se passe en mai 1755, je n’ai pas encore 19 ans …
« Orpheline de mes parents, Pierre et Marie PETIT, depuis mes 6 ans et vivant depuis sous la curatelle de Pierre FRADIN, je quitte ce jour là ma commune de naissance pour m’installer avec mon époux à Chiché. Un nouveau départ, une nouvelle vie … Rien ne change vraiment dans mon existence, les travaux de la ferme et les tâches réservées aux femmes étant identiques. Si ce n’est, et tu le devines bien, l’intimité avec mon époux.
Mais rien ni personne ne m’avait préparée à ce jour où j’ai compris, où j’ai su avec certitude que je portais un enfant. Ce jour où je l’ai senti tressaillir en mon sein. Ce jour où je me suis sentie seule comme jamais auparavant.
Bien sûr, j’y pensais un peu depuis quelques semaines. Je voyais bien que ma taille s’élargissait un peu, que le matin je n’avais pas grand faim, que certaines odeurs m’indisposaient, que je fatiguais plus vite … Et me voilà à 18 ans, un peu perdue face à une inquiétude, à une sorte de vulnérabilité, face à cette responsabilité de porter puis d’enfanter un bébé « conforme » aux attentes de mon mari, aux attentes de tous.
Dès ce jour et la nouvelle répandue, les femmes de la paroisse déjà mères me submergent de moults conseils … « Tout ce qui m’atteint en bien ou en mal a des effets sur l’enfant » … « Éviter les colères, les joies ou les chagrins trop forts » … « Se méfier du crépuscule et de la nuit » … »Ne pas jurer ou blasphémer » … « Ne surtout pas s’occuper d’animaux féconds, comme mettre les poules à couver »… « Ne pas croiser les pieds ou les jambes car cela rend l’enfant difforme » etc … Tout ce qui pourrait porter malheur et faire de mon enfant une sorte de monstre. Et crois moi, je suis attentive de suivre à la lettre tous ces conseils !
Les semaines et les mois se passent avec une certaine impatience tout en continuant de travailler à la maison et aux champs. Je dois attendre que la nature fasse son oeuvre. Tout prend du temps… Nous, gens de la terre le savons plus que quiconque. Jusqu’à ce jour où je commence à ressentir ces signes décrits de nombreuses fois par les femmes de mon entourage. D’abord ces « petites sensations », ces « mouches » dans le bas ventre comme elles disent, cette perception que l’enfant que je porte descend, que mon dos est davantage cambré et que cette douleur s’intensifie d’heure en heure, tout comme ces sortes de « déchirements » de plus en plus fréquents.
Mes plus proches parentes, les sœurs d’Étienne, et mes voisines accourent et prennent subitement tout en charge en attendant l’arrivée de la sage femme, celle que tous appellent la « bonne-mère » et que tout le monde connaît au village. Car, il faut que tu saches, que chaque naissance est l’affaire de toutes les femmes de la paroisse. L’une prépare le lit, les linges, le fil. L’autre s’occupe du feu dans la cheminée et fait chauffer de l’eau dans le chaudron. Une autre choisit la chaise la plus solide de la maison sur laquelle je pourrais prendre appui … Toutes me soutiennent, m’encouragent par la suite et me dispensent des conseils entre chacun de mes cris, en évoquant leurs propres couches.
Je suis soulagée de voir que mon mari, ainsi que tous les autres hommes sont « rejetés » hors de la maison. L’atmosphère de la pièce unique de celle ci est surchauffée, la pièce calfeutrée, porte fermée, rideau grossier de la fenêtre tiré, à la fois pour se prémunir du froid mais aussi pour empêcher les mauvais esprits d’entrer.
Toutes font confiance à la sage femme, mais l’absence de ma mère ne s’est jamais autant fait ressentir. Les heures défilent lentement, rythmées de mes cris, cris de douleurs, mais aussi cris de peur, encouragés par mes compagnes qui disposent ici et là des amulettes sensées aider le travail et dissiper l’angoisse, qui me font boire des bouillons chauds pour me redonner de l’énergie. Ces femmes, qui, pendant les moments difficiles me calment, me maintiennent, m’essuient et prient à haute voix Sainte Marguerite. L’aide précieuse qu’elles m’apportent me permet de surmonter cette angoisse de mort qui plane inévitablement, comme à chaque venue au monde.
À mes gémissements, plaintes et hurlements succède subitement un autre cri, celui de mon enfant. Je vois alors, au travers de mes larmes, des sourires apparaître sur le visage de la matrone et des autres femmes. Ce cri est celui de la vie.
J’ai à peine le temps de l’apercevoir, que mon bébé est enveloppé dans une sorte de tablier. À quoi, à qui ressemble t’il ? Est-ce un garçon ? Une fille ? À t’il des cheveux ? Est-il chauve ? Gros ? Petit ? … Normal ? Difforme ? Je ne sais plus qui me dit, enfin, que c’est un garçon et que tout va bien. Je me détends, soulagée, et je vois la « bonne mère » prendre mon fils sur ses genoux et l’examiner de tous côtés. Puis elle l’emmaillote de façon que son petit corps soit maintenu bien droit et sa tête bien rigide.
Cette mise au monde, je l’ai vécue comme une bataille contre la douleur et la mort. J’en suis sortie vivante, d’autres, de nombreuses autres n’ont pas eu cette chance. Quant à mon enfant, il ne lui reste plus qu’à se battre pour vivre … »
En lisant ce que je viens de t’écrire, je sais que tu penses une fois encore à ce qui est devenu une de tes obsessions, que tu t’interroges sur mon rôle de mère, que tu penses aux sentiments que j’ai pu ressentir, que nous toutes, tes ancêtres, avons eus envers nos enfants. Étaient-ils similaires aux tiens ? Aux vôtres ? Comprends bien, Nat, que nous n’avions pas le temps de nous attendrir, que nos enfants ne sont pas devenus à leur naissance, comme pour vous, le centre d’intérêt de tous, nous devions continuer et reprendre rapidement les travaux quotidiens. Cet enfant, et tous les autres, ne prendra d’importance, n’obtiendra de véritable rang dans la famille que lorsque sa robustesse lui donnera chance de vie. Et même si la séparation te parait brutale, cette séparation qui semble gommer ce lien qui reliait chaque enfant à sa mère, j’ai eu comme la plupart des femmes, un profond respect de la vie, de nombreuses inquiétudes sur les chances de survie de cet enfant, de tous mes enfants. J’ai éprouvé de l’affection, de l’amour. Comme toi, différemment parce que la vie, nos priorités n’étaient pas les mêmes, mais oui, tout comme toi.
Épilogue :
Cet enfant sera baptisé le 7.08.1755 à Chiché et portera le prénom de Jacques. Marie CADU et Etienne MORTAULT auront par la suite 10 autres enfants, dont Marie Magdeleine mon sosa 85. Etienne décèdera le 24.04.1783 et Marie épousera 18 mois plus Jean GALARD.
Sources :
- Archives Départementales des Deux -Sèvres : AD79
- Geneawiki : la naissance autrefois
- Société d’Histoire de la naissance
- Persée : La naissance aux siècles classiques
- La grossesse, l’enfant virtuel et la parentalité – Auteurs : S.Missonnier – B.Golse – M.Soulé
( Éditions Presses Universitaires de France)
- Les Cousins Acadiens du Poitou : bulletin n° 103/104
- Image à la une : Pablo Picasso – 1905 – La mère et l’enfant ( Pinterest)
- Image femme enceinte : Hebus
Ce billet est vraiment réussi (comme tu sais le faire). Je suis sidérée de la façon dont tu arrives à écrire tout cela, comme si tu étais présente auprès de la bonne -mère. Bravo !
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Merci beaucoup 😊 la vie et la condition des femmes de ma famille me passionnent … J’aimerai tant savoir!
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Ça c’est le coeur qui tient la plume, il ne saurait en être autrement… J’ai presque envie de dire que c’est un superbe « témoignage » 😉 Bravo Nat ❤
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Merci Jeme … inévitablement des souvenirs ont refait surface …
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