De père en fils …

La question du choix de mon métier ne s’est jamais posée. L’évidence était là.

Il n’était pas si facile, si aisé, de sortir de son milieu, mais je n’ai jamais regretté cette décision de « marcher » sur les pas de mon père.

Je m’appelle Pierre BROSSARD et je suis né en 1702 à La Chapelle Saint Laurent (79) où Pierre, mon père, exerçait les métiers de faiseur d’escardes (cardier) et de cardeur. Mon père qui m’a tout appris…

Appris à fabriquer les cardes tout d’abord, outils à l’aide desquels on pratique le cardage. Une sorte de peignes à manches qui permet d’apprêter la laine, parfois le coton, de façon à ce qu’elle puisse être mise en oeuvre, la rendre plus douce, plus soyeuse.

Le cardier 1

Je le revois encore me montrer avec patience comment couper le cuir de veau, de bouc ou de chèvre bien tanné, en morceaux oblongs, nommés les feuillets, de la grandeur que la carde doit être,  et de les tendre ensuite sur un métier dédié, le panteur (fig 1). Une fois le feuillet « panté », piquer la peau (fig2), la percer de petits trous en lignes droites, tous à la même distance avec la « fourchette » (fig 3). Là encore, l’image de mon père me rappelant de manière obsédante, de ne surtout pas tracer de ligne, que seule l’habitude et l’expérience me guideraient sûrement et que la vitesse d’exécution viendrait avec le temps.

La peau piquée ainsi, doit être garnie de fils de fer doublés (fig 5) à deux reprises pour les fortifier, les solidifier, lesquels sont par la suite plantés dans les trous d’un crocheux (fig 6 n2), afin d’obtenir des pointes « crochées ». Puis il s’agit de rhabiller la carde en passant sur ces crocs de la colle forte pour les fixer au feuillet et en les aiguisant avec une pierre de grès très fine. Prendre le temps ensuite de les démêler, les mettre en ligne avec le fendoir (fig 9), et bien perpendiculaires avec le dresseur (fig 10). La carde est ainsi prête à être vendue. Il m’a fallu des mois, des années pour acquérir ces gestes sûrs, efficaces, et pour oser prétendre contenter mon père.

Mon père qui m’a ensuite enseigné l’art du cardeur…

Le cardage est une opération très délicate et il faut avant tout chose, éplucher la laine avec les doigts, l’écharpir, la démêler, et seulement ensuite en garnir d’une première fine couche l’une des cardes. Il s’agit alors de séparer les fibres, les caresser avec la 2ème carde et recommencer encore et encore ce même geste. Remettre une autre fine couche de toison par dessus la 1ère et réitérer les mêmes gestes. Lorsque les cardes sont pleines il suffit d’enlever la nappe de fibres cardées avec beaucoup de délicatesse. La finesse de cet ouvrage s’apprend là aussi avec le temps et la pratique …

Le cardage

Souvent j’ai senti mon père exaspéré lorsque je cardais trop légèrement, le risque étant de laisser dans la laine des petits flocons plus durs et qui donneront après filage un fil inégal. Ou au contraire quand je cardais avec une main trop pesante et que je brisais la laine. Je l’entends encore soupirer après mes maladresses … Mais combien j’aimais le voir perdre de sa gravité et montrer brièvement son émotion lorsque j’arrivais à lui donner satisfaction.

Ces métiers, ces savoir-faire que je tiens de mon père, je les ai appris à mon fils Pierre Antoine. Transmettre ce que l’on m’a donné, ce que j’ai reçu …

Dès cet instant, j’ai compris le plaisir, le bonheur qu’a pu ressentir mon père à m’enseigner son art. Vivre ainsi dans une étroite proximité avec son fils, lui apprendre son expérience, lui transmettre tout son savoir, le voir parcourir le même chemin…

Et ce jour où le résultat de son travail devient meilleur que le sien, ressentir cette émotion si intense, ce pur moment d’orgueil d’un père.

Comment ne pas repenser à ce même jour, des années auparavant, dans les mêmes circonstances, mon père posant ses grandes mains sur mes épaules et me fixant … Sans verser de larme bien sûr, mais juste son regard et ses mots simples, enroués, qui en disaient tellement long sur la fierté qu’il ressentait à cet instant. Je ne l’ai jamais aimé autant que ce jour là…

 

Sources :

 

 

 

 


14 réflexions sur “De père en fils …

  1. Un beau texte sur l’amour de son métier, transmit à son fils 🙂 et qui nous permet aussi de ressentir cet amour paternel, la fierté d’un père, puis du fils devenue aussi père 🙂
    Toujours des beaux mots pour nous transporter

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  2. Quelqu’un qui s’appelle Brossard, qui habite à La Chapelle-Saint-Laurent et qui n’est pas dans mon arbre ! Je n’en reviens pas ! J’aurais pourtant bien aimé qu’il soit un de mes ancêtres parce que son métier me rappelle des souvenirs personnels (et anciens et agréables) liés à cette activité !

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  3. merci pour ce récit, on s’y croirait… je n’ai pas de cardeur dans ma généalogie mais c’est une façon très intéressante de se plonger dans la vie de nos ancêtres

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  4. Bien documenté et très vivant, voilà un bel article où l’on apprend tout sur ce métier. Mes arbres comportent des cardeurs à laine que je vois vivre ainsi.

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  5. J’ai beaucoup apprécié ce texte qui ne peut laisser personne indifférent. Beaucoup de justesse et de sensibilité qui prête vie vos ancêtres . Bravo! 🙂

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