Des larmes …

J’aime ma famille.

J’aime vous trouver les uns après les autres, découvrir votre vie, votre parcours, vos joies, vos peines, vos modes de vie, vos métiers…

J’aime toutes ces émotions ressenties parfois au détour d’un registre, comme découvrir une signature, admirer une écriture ferme et sûre ou une autre tremblante tracée par une main hésitante …

J’aime surtout refaire votre histoire, vous redonner vie, une vie propre à chacun de vous.

J’aime toutes ces rencontres faites au cours de ces dernières années. Toutes.

Jusqu’à aujourd’hui…

Jusqu’à toi, Jean Alexandre CAFFIN.

Ton père, Jean, quitte Thouars et ses Deux-Sèvres natales en 1746 pour se marier, dans le Maine et Loire avec Marie Madeleine GRIGNON . Sans doute est-ce sa profession de marchand négociant qui l’a emmené si loin de son Poitou et c’est là, à Doué, que tu nais en 1751.

Dès l’âge de 18 ans tu t’engages comme soldat dans la cavalerie du Régiment de Bourgogne et 3 ans après, dans l’infanterie du Régiment du Roy. Lors de la Révolution tu es élu Commandant de la Garde Nationale de Doué (49) puis nommé par le District de Saumur, adjudant Général de la Légion du Midi. Promu Général de Brigade dans l’Armée des Côtes de la Rochelle le 2 juillet 1793 , tu reçois le commandement d’une colonne infernale du Général TURREAU, commandant en chef de l’Armée de l’Ouest… Ces colonnes infernales chargées d’annihiler la Vendée et ses derniers royalistes.

Comment traduire cette nausée qui m’a envahie à la lecture de tes « faits d’armes » ?  … Comment te faire comprendre le dégoût que tu m’as si brutalement inspiré ? Cette aversion, ce mépris, cette répulsion … Ce que tu as fait pendant ces quelques mois au sein des colonnes infernales est indéfendable …

Ces rapports très détaillés lus à la tribune de la Convention sous les applaudissements, ces rapports impitoyables de vérité sur les massacres que tu as commis, ces rapports dans lesquels tu te vantes, ces rapports écrits de ta main et qui ne me laissent aucun doute sur la cruauté sans nom dont tu as fait preuve…

signature

21/01/1794 : « … je purge le pays de tout ce qu’il peut y avoir de gens suspects sans en ménager aucun… »

23/01/1794 : « … Lorsque j’incendies, je veux qu’il ne reste pas de vestiges et je commence le matin par les églises et les chapelles, après les maisons. J’ai fait tuer ce matin 53 femmes, autant d’enfants … »

25/01/1794 : « … Pour le bien de la république, les Echaubrognes (79) ne sont plus, il ne reste pas une seule maison. Au moment où je t’écris, je fais fusiller 14 femmes qui m’ont été dénoncées … »

26/01/1794 : à Maulévrier (49) … « … hier j’ai fait brûler tous les moulins que j’ai vu… » … Commence à incendier la ville.

27/01/1794 : Incendie le bourg de Toutlemonde (49) … « … L’ennemi est instruit de tous nos mouvements, aussi je fais tuer tout ce que je rencontre… »

29/01/1794 : Termine d’incendier Maulévrier.

31/01/1794 : « … Tout le village d’Yzernay (49) a été incendié ce matin (…) Il restait 4 moulins à vent que j’envoie incendier ce matin, ne voulant en laisser un seul … »

1/02/1794 : à Saint Laurent sur Sèvre (85)« … J’ai fait conduire à Cholet 32 femmes qui étaient dans le couvent. Je les ai adressées aux administrateurs du district qui en feront ce qu’ils voudront. J’ai trouvé une vingtaine d’hommes que j’ai fait fusiller avant de partir. Si j’en trouve d’autres sur ma route, ils essuieront le même sort … »

3/02/1794 : à La Gaubretière (85) … « … Je te préviens que j’irai demain matin avec ma colonne brûler ce bourg, tuer tout ce que j’y rencontrerai sans distinction, comme le repaire de tous les brigands. Je n’avais pas encore occupé un pays où je pusse rencontrer autant de mauvaises gens, tant hommes que femmes, aussi tout y passera par le fer et par le feu… » vitrail-colonne

Suite à tout cela, ton nom devient tristement célèbre, tout comme ceux des autres généraux, et on dit de toi : « CAFFIN semblait avoir la spécialité de glaner derrière les autres, et de massacrer et de brûler tout ce qui avait échappé à un premier massacre ou à un premier incendie ». Tristement célèbre, car on ne retient de toi que « les atrocités ordonnées et accomplies sur une population quasi sans défense. »

Ces généraux CORDELIER, CROUZAT, LACHENAY, AMEY ou encore GRIGNON, ton cousin, qui en allant bien au-delà des ordres donnés par leur supérieur ont rependu la mort avec un acharnement proche de l’horreur, une brutalité féroce.

Tout ce que je découvre, tout ce que je lis sur toi et sur les autres me scandalise, me révulse, m’écœure …

Comme ces lignes : « … Aucun scrupule, aucun cas de conscience, aucune pudeur n’entravent la correspondance de ces généraux qui racontent à leur chef avec flegme, enthousiasme et parfois humour leurs actes les plus atroces. Ce ne sont qu’exterminations, villages brûlés, hommes égorgés, femmes violées et éventrées, enfants écrasés, raffinement de barbarie, débauches au milieu du sang, froides vantardises de scélératesses, tous les excès et les turpitudes où se puisse porter la brute humaine dépourvue de conscience et de foi. Le tout relaté avec plaisanteries, jeux de mots, quolibets … » (1)

Après la destitution de TURREAU, en mai 1794, tu es nommé par le Comité de Salut Public commandant de la 3ème division de l’Armée de l’Ouest puis 2 ans plus tard, à l’Armée des Côtes de l’Océan sous les ordres du général HOCHE. Et vous avez finalement raison des derniers combattants royalistes…

Tu prends ta retraite militaire en 1801 et tu deviens maire de ta ville de naissance jusqu’en 1815. Jamais tu ne seras jugé pour ces crimes odieux .

En parcourant tous ces écrits, ces témoignages, si identiques, si nombreux, j’ai pleuré … longtemps, très longtemps. Et je t’ai détesté, haï.

Mais je sais maintenant que tu es là au milieu de ces nombreuses petites feuilles qui ornent les branches de mon arbre familial. J’aurais souhaité ne pas le savoir.

Je ne souhaite même qu’une chose, l’oublier… T’oublier.

 

Pour en savoir plus :

Les colonnes infernales

Les Guerres de Vendée

capture

Sources :

Archives Départementales du Maine et Loire : (acte de naissance)

Archives Départementales de la Vienne : (acte de mariage, acte de décès)

Archives Départementales de la Vendée : (Lettre manuscrite de CAFFIN à TURREAU, signature)

Gallica – La Vendée Historique : (documentation)

Gallica – L’Anjou Historique : (documentation)

Vendéens et Chouans : (documentation)

Vendée militaire et grand ouest : (documentation)

Histoire en questions : (documentation et extrait 1)

Rembarre – Les exécutants : (documentation)

Macadam : (image à la une)

Euro-synergie Hautefort : (image vitrail)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


39 réflexions sur “Des larmes …

  1. Bonjour Nat,
    Hier, j’ai remarqué cette phrase chez un abonné de Généanet:
     »La Généalogie, ce n’est pas de la cendre que l’on remue
    mais de la braise que l’on ravive. »
    Je dirais que les deux se sont produits dans mon esprit à la lecture de ton touchant témoignage au sujet de cet ancêtre indigne.
    Merci d’avoir partagé cela avec nous.
    Je dirais que la généalogie, c’est aussi:  »Pour que demain se souvienne »

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  2. je t’ai appelé quand tu rédigeais ce billet…tu pleurais..tu étais énervée par tant d’atrocités…la généalogie réserve des surprises..pas facile d’affronter de telles découvertes…ces faits font partie de l’histoire..et ces faits ignobles fussent-ils ont fait l’histoire….mais il faut vivre dans le présent…les amis sont là pour accepter ces mots et ces maux…je te souhaite de découvrir dans ton ascendance autant d’enfants illégitimes que contient mon ascendance….fruits des amours interdits de mes ancêtres…cet amour généalogique..illégitime qui aide à comprendre qui étaient mes ancêtres….et qui te feront oublier les exactions de cette pourriture de général CAFFIN

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  3. Comme la vie, la généalogie nous réserve des surprises de tous genres … Mais comme dans la vie, nous n’y sommes pas toujours préparés…
    Le beau, l’extraordinaire côtoient parfois le plus noir… ce qui n’est pas toujours facile à admettre ou tout simplement à comprendre…
    La « belle » généalogie (à mes yeux) est celle qui unit les dates, les faits, raconte une histoire et y joint les émotions… (et pour les émotions, tu en connais un morceau…) 🙂
    Ceci fait partie de l’Histoire… En nous la partageant, tu fais aussi… surtout, revivre les victimes de ces faits… Et par l’encre de tes larmes, c’est aussi un hommage que tu leurs rends …
    Car en te lisant, c’est à ces victimes que je pensais…pas une seule fois à « lui »
    Cette feuille est à sa place….mais elle n’aura que l’importance que tu voudras lui donner…
    La vie a fait de toi ce que tu es, ce que tu as choisi d’être, et ce, à chaque instant…
    Les larmes n’ont plus lieu d’être, c’est « ici et maintenant », avec tes proches et avec toi 😉
    Merci pour ce partage, cette sensibilité 🙂

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  4. comme je te le dis toujours , tu as ce talent d’écriture , pas assez exploité à mon gout , ces textes ciselés au scalpel ,cette justesse de tes mots qui font toute leur intensité ! et tu as la possibilité de parler de toutes les situations les plus douces aux plus rudes en restituant toutes les émotions qui vont avec . encore bravo!!!!!!

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  5. Nous n’avons pas plus à être fiers de nos  » héros » qu’à être horrifiés de nos « salauds ».
    Tous, nous venons d’eux, de cet « humus » formé par tous ceux qui nous ont précédés.
    Accepter l’évidence, c’est tout ce que nous avons à faire. Néanmoins, votre narration
    m’a touchée et je souhaite que votre émotion (louable!) s’efface peu à peu.
    Ne gaspillez pas d’énergie à essayer d’oublier: vous n’y arriverez pas.Laissez glisser la vie,
    demain sera un autre jour…

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    1. je suis d’accord avec vous, nous ne sommes pas responsables … Mais les actes commis ont été si cruels … Je connais bien le site Vendéens et Chouans pour le visiter très souvent, et oui effectivement le lien entre CAFFIN et GRIGNON n’est pas cousin germain … Et si vous regardez les sources que j’ai indiquées vous verrez que l’article dont vous me donnez le lien , est cité 😉 Merci de votre intérêt et de votre commentaire 🙂

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  6. Presque 300 ans plus tard, un groupe assoiffé de sang a mis a mort tout un village, celui d’Oradour… ce qui tant a prouver que la nature humaine ne change jamais … il suffit que quelques-uns avec des discours de haine, raniment les plus bas instincts de la race humaine.

    Très bel article, explicite et émouvant.
    selma cayol

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  7. Très bel article ! Dans nos découvertes, nous trouvons souvent de très belles choses mais parfois de moins belles. C’est triste, mais c’est cela qui nous fait avancer ! Il faut pouvoir oublier et passer à autre chose !

    Des pensées que j’avais retranscrites lors du challenge AZ 2015 pour illustrer mes articles, conviennent tout à fait, je trouve, à ton article et ton humeur !

    « Ne me crains pas,
    Ne tombe pas dans la rancune de nouveau ;
    Secoue ce mot, le mien qui vient de te blesser
    Puis laisse-le s’envoler par la fenêtre ouverte. »
    Pablo Néruda

    « Il faut se souvenir du passé,
    Non pour rouvrir de vieilles blessures,
    Mais pour les refermer. »
    Fedérico Mayor

    « Notre héritage est impossible à refuser, mais il appartient au passé si nous ne le transfigurons pas. Le peuple est composé de couches étrangères les unes aux autres, séparées et ennemies. Ainsi est notre vie ; nous sommes une mosaïque de voix, de silences de flammes et d’ombres dans un dessin nuageux. »

    Je suis sure que vous allez bientôt trouver quelque chose de magnifique qui fera oublier cette mauvaise humeur !
    Véronique

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    1. Merci Véronique de l’intérêt que vous avez eu pour cet article et pour ces pensées. Je les trouve particulièrement justes mais une retient un peu plus mon attention … « Notre héritage est impossible à refuser, mais il appartient au passé (…)  » Cette découverte m’a bouleversée sur le moment par la cruauté des actes … Et pour cette petite feuille qui fait bien partie, au même titre que toutes les autres, de mon arbre je vais suivre le conseil donné sur un autre commentaire … Elle n’aura que l’importance que je lui donnerai et pas davantage …

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      1. Bonsoir, j’aimerai savoir si mes ancêtres vendéens (branche maternelle) ont participé de près ou de loin à la Guerre de Vendée. Je n’ai pour l’instant pas trouvé d’informations les concernant sur cette période. Ils étaient originaires de la BOISSIERE DE MONTAIGU et étaient des paysans. Savez-vous où je pourrais trouver des informations. Je n’ai rien trouvé à ce jour sur les archives de Vendée, ou alors je ne cherche pas comme il faut.

        J’ai par contre un Ancêtre Martin VISONNEAU, accusé « d’avoir monté la garde avec les brigands », qui est arrêté fin 1793 et se retrouve emprisonné à NANTES, à l’Entrepôt des Cafés, jugé et condamné par la Commission militaire Bignon. Le 17 janvier 1794, Martin VISONNEAU est fusillé dans les carrières de Gigant avec quatre autres Chevrolins. Information trouvée tout à fait par hasard en achetant un livre sur la commune de la CHEVROLIERE pendant la Révolution.

        Merci pour votre retour,
        Cordialement
        Véronique

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      2. Bonsoir Veronique , je vous ai envoyé une invitation sur FB … Plus facile sans doute pour « discuter » de tout cela … Sinon pour les recherches, bien sûr les AD 85, Gallica, le site Vendéens et chouans …..

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  8. J’ai, moi aussi, beaucoup d’ancêtres dans cette région. J’ai lu sur certains registres, des annotations terribles de curés.
    Je n’avais, jusqu’à cet instant, jamais imaginé que l’un de mes ancêtres puisse se trouver dans le camp des « bleus ».
    Je comprends tellement votre déception, dégoût….
    Grâce à ce témoignage, je peux m’y préparer, éventuellement.
    Merci pour ce récit.

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    1. Merci à vous de cette visite sur le blog et de votre commentaire. Jusqu’à cette découverte, les « feuilles » de mon arbre étaient plutôt de l’autre bord si je puis dire et… je n’étais pas prête du tout à cette mauvaise surprise !

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  9. Que dire ? C’est également un de mes ancêtres. Quand tu m’as parlé de ce cas, je m’étais imaginé un brigand, un voyou de grand chemin. Et non un militaire « zélé » gonflé de sa pseudo puissance pour déverser sa cruauté. En lisant ce très beau texte, j’avais envie de dire autre époque, autres mœurs. Mais au regard de ce qu’il se passe de nos jours, les comportements ont-ils changés ? La guerre est la guerre avec ses héros et ses salauds. Sans doute des deux côtés d’ailleurs … Mais rien, ni maintenant, ni hier, ni demain n’excusera ces abominations. Une chose est certaine, nous avons la chance de vivre dans un pays en paix. Que serions-nous sinon ? Bien malin ou présomptueux qui peux le dire.

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