Je m’appelle Marie Joseph ALBERTEAU et j’ai 127 ans.
Je ne suis pas vraiment mort, je suis dit « disparu ». Disparu ce jour maudit à Ailles dans l’Aisne.
Ce lundi 16 avril 1917…
3h30 du matin :
Je me lève ainsi que tous mes camarades pour me préparer à affronter ce qui a été annoncé comme étant la dernière offensive de cette guerre. Comme tous, je me rends bien compte de la tâche à accomplir mais j’ai foi en la victoire et le message du Général NIVELLE transmis hier soir à toutes les troupes m’a mis du baume au cœur : « Aux officiers, sous-officiers et soldats des Armées Françaises. L’heure est venue; Confiance, courage et vive la France! » . Je prépare mon équipement et j’attends …
Mes pensées dérivent et je repense à cette guerre, à cette souffrance journalière, à cet espoir d’un retour hypothétique, à ma famille, à mes parents Louis et Marie Rosalie FAZILLEAU, à mes 12 frères et sœurs. Mes frères … Louis Auguste, Lucien François, Urbain Cléophas … Eux aussi sont au front. Comment vont-ils ? Sont ils même toujours en vie ?… Je ferme les yeux et je revois notre ferme familiale à Saint Sauveur dans les Deux Sèvres, je revis ces moments partagés faits de labeur, de complicité, de joie, de tristesse parfois.
6h00 :
Il pleut, il y a même des bourrasques de neige et j’ai froid … Le clairon sonne, c’est le signal. L’instant est poignant, il ne faut plus penser à rien, il faut mépriser sa peur.
Et malgré les 30kg d’équipements, malgré ce froid, ce vent, cette pluie, malgré le relief, les difficultés du terrain déjà malmené, je m’élance rempli d’ardeur, je saute par dessus les parapets et j’essaie de gagner les 1ères lignes. Je me retrouve dans un tourbillon de violence et rapidement je me heurte à des barbelés sous le feu des mitrailleuses allemandes …
Vite ! Arriver dans cette tranchée coûte que coûte …
Et subitement cet obus …
Un court instant j’entends encore ce qui se passe autour de moi, j’entends les blessés marqués par la fureur et la douleur, j’entends le bruit des combats. Puis, plus rien, le silence, le noir. Et je reste là, je ne souffre plus … Je n’ai pas choisi ma sépulture, les autres non plus, ces dizaines de milliers d’hommes tombés sur les flancs de ce plateau qui domine la Vallée de l’Aisne.

Ils ne me retrouveront pas, ma disparition sera signalée par le Ministère de la Guerre le 16 juin 1917 et ma mort sera déclarée par un jugement du tribunal de Bressuire le 19 octobre 1921.
Mais que reste t’il de moi, Marie Joseph ALBERTEAU sergent du 33ème RIC ? Que reste t’il à mes parents ? Une croix de guerre avec une étoile d’argent obtenue en 1916 ? Piètre consolation.
Ma famille, mes amis, ne me pleurez pas, je n’ai plus peur…
Aujourd’hui, 8 mars 2016, j’ai 127 ans…
Et je suis encore là, sur ce plateau fleuri de bleuets, auprès de tous mes camarades… Auprès des fantômes du Chemin des Dames.

Sources :
Internet :
Fiche matricule : Archives Départementales des Deux-Sèvres
JMO du régiment + fiche « Mort pour la France » : Mémoire des Hommes
Livre :
Les Fantômes du Chemin des Dames : Le presbytère d’Yves Gibeau – Aut : Gérard Rondeau – Ed : Seuil
Magnifique d’émotion, j’ai l’impression d’être avec lui, on ressent ses sentiments
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Merci, avec ce souvenir, si bien raconté, vous ravivez la flamme de tous ces soldats perdus.
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Votre commentaire me touche beaucoup, il est très difficile d’imaginer ce que ces hommes ont pu vivre … Merci.
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Ce récit est poignant et fait écho à un livre que je viens de terminer « la chute des géants » de Ken Follet. Merci.
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Très beau récit. Cela rappelle la fin du roman « À l’ouest rien de nouveau ».
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Merci ! Cela fait le 2ème livre dont on me parle suite à ce billet 😉 De la (bonne) lecture en perspective pour les prochaines semaines 🙂
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Superbe!
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Merci 🙂
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Bonjour Nat, bravo ! Touchée au coeur par ce récit merci !
Petit problème technique : je n’ai pas reçu l’alerte du nouvel article sur ma boite mail, heureusement qu’il y a le groupe !
Bonne après-midi !
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Merci Joelle 🙂 Pour l’alerte, c’est normal, c’est un billet que j’ai écrit il y a un an … J’ai décidé de le « ressortir » parce que toujours d’actualité si je puis dire …
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